Interview de Juan Jerez del valle

Après l’interview mode de Pauline Darley, c’est à Juan Jerez del Valle, de nous parler de sa passion, la photographie.

Peux tu nous parler de ton projet ?

La série Traslato est le fruit du hasard. Pendant cinq ans, j’ai arpenté quotidiennement la rue de la Roquette, dans le 11e arrondissement de Paris, pour me rendre de chez moi à mon studio, soit une distance d’environ 1,5 km. Lors de ces promenades, j’ai commencé à prendre des photos de rue, le plus souvent des portraits volés de passants. Cela est ensuite devenu une sorte de rituel, une habitude. 

La plupart du temps, je sauvegardais les photos capturées dans la journée sur mon disque dur sans même les regarder ou les éditer. Avec le temps, le matériel ainsi accumulé a commencé à devenir de plus en plus conséquent et je me suis aperçu qu’il pouvait y avoir, dans cette collection de photos prises avec insouciance, quelque chose d’intéressant. 

Un jour, j’ai pris une photo d’une jeune fille avec des cheveux rouges qui transportait ses courses d’un air absent et j’ai eu une révélation ! Sans pouvoir l’expliquer, cette image m’était familière. En regardant par la suite mes archives, j’ai compris que j’avais déjà pris cette photo cinq mois auparavant, quasiment au même endroit. Il s’agissait du portrait d’une autre femme mais avec la même couleur de cheveux, la même attitude, et un sac de courses. Une seule différence, leur âge qui brouille les pistes et pourrait faire penser à deux photos d’une mère et de sa fille, ou bien de la même personne mais vingt ans plus tard.A partir de cette découverte, j’ai fouillé mes archives à la recherche d’un autre miracle qui pour moi représente l’analogie, la répétition d’un geste, d’un regard. Petit à petit, la série Traslato a commencé à prendre forme. La chose qui m’intéresse le plus dans ce projet est le fait de ne pas avoir pris les photos qui le composent avec une intention précise. La série s’est construite a posteriori. Cela m’a fait penser à un passage de la Recherche qui m’est particulièrement cher : “Et je sentais que ce devait être la griffe de leur authenticité. Je n’avais pas été chercher les deux pavés de la cour où j’avais buté. Mais justement la façon fortuite, inévitable, dont la sensation avait été rencontrée contrôlait la vérité d’un passé qu’elle ressuscitait, des images qu’elle déclenchait, puisque nous sentons son effort pour remonter vers la lumière, que nous sentons la joie du réel retrouvé. Elle est le contrôle de la vérité de tout le tableau fait d’impressions contemporaines, qu’elle ramène à sa suite avec cette infaillible proportion de lumière et d’ombre, de relief et d’omission, de souvenir et d’oubli, que la mémoire ou l’observation conscientes ignoreront toujours”. (PROUST. Le Temps retrouvé. Galimard. 1989)

J’ai un rapport particulier avec le temps, la mémoire et les souvenirs. Ayant vécu dans trois pays et cinq villes différentes, la géographie de ma mémoire est très accidentée. La photographie me permet de trouver des chemins et des liens qui relient ces endroits éloignés.

 
 

Quel matériel utilises-tu ?

Cette série montre mon évolution concernant le matériel utilisé. Les premières photos ont été prises avec un appareil reflex full frame, le Nikon D750. L’encombrement et le bruit induits par cet appareil m’ont poussé à le remplacer par des boitiers Fujifilm mirrorless plus compacts. J’en utilise trois, le Xpro2, le X100F et récemment le Xpro3. Même si la série a été faite avec plusieurs appareils, une chose est commune à toutes les photos : je travaille toujours avec deux focales fixes: un 35mm et un 50mm

 

Une particularité physique ?

Pour moi, il est très important de ne pas être repéré au moment de la prise de vue, pour éviter de perdre la spontanéité et le naturel de l’instant. Parmi les images de la série, une grande partie a été prise avec l’appareil photo positionné à la hauteur du bassin. C’est pour cela que l’utilisation des focales fixes est primordiale pour moi, j’arrive ainsi à cadrer même quand je ne regarde pas le viseur. 

 

Comment es tu arrivé à la photo ?

Je pense être arrivé à la photographie à la fin d’une longue période d’apprentissage. J’ai toujours été intéressé par le monde des images. Pendant mes années d’études en Histoire de l’Art à Grenade, j’ai passé des heures et des heures à contempler des reproductions de tableaux. J’étais fasciné par leur pouvoir de communication, leur capacité à transmettre un message de façon immédiate. D’une certaine manière, je pense avoir appris une nouvelle langue faite d’ombres et de lumières, de reliefs et d’omissions. Une langue que je pouvais comprendre mais que je n’arrivais pas encore à parler. 


Après avoir déménagé à Rome pour faire des études en architecture, j’ai découvert un outil qui m’a permis de commencer à « parler » cette langue : l’appareil photographique. Grâce à la photographie, toute ma vie a commencé à faire partie de cet univers d’images qui me passionne. La réalité, vue à travers un objectif de caméra, devient une source de beauté sans fin, un tableau mystérieux et en constante évolution. Je pense que c’est à ce moment-là que j’ai décidé d’être photographe, à l’instant où j’ai compris qu’être derrière la caméra, c’était l’endroit que je préférais le plus au monde

Quels photographes et quels artistes t’inspirent ?

J’ai des inspirations très variées. Le cinéma de Michelangelo Antonioni et de Federico Fellini, la peinture de Diego Velazquez, Caravage et Titien. En photo, j’aime particulièrement l’œuvre d’Irving Penn, Walker Evans, Garry Winogrand ou Sergio Larrain. J’admire des photographes contemporains comme Chema Madoz, Raymond Depardon, Harry Gruyaert, Jack Davison et Elizaveta Porodina.

Pour suivre Juan Jerez del Valle :
Web: juanjerezphotos.com 
Instagram : https://www.instagram.com/juanjerez/?hl=fr

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